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    Réalité(s). Avec un S entre paranthèses, cette simple lettre, dès que l'on parle de réalité, fait bouillonner toute la philosophie :  comment ce qui est "effectivement" pourrait être "autrement" ou pis, "pluralement" ? 


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    ... ton prochain comme toi-même


     
     

    ... ton prochain comme toi-même, cette phrase du Nouveau Testament est ici réduite à une formule volontairement elliptique, c'est une "équation à deux inconnues", nous dit Yann : qui est le prochain ? qui suis-je ? Et pourquoi, et comment, dois-je et puis-je aimer ce prochain, cet autre qui m'est étranger ?

     

     


    « En réponse à la question posée sur le premier des commandements, Jésus dit :

    - Le premier, c’est : « Ecoute Israël ! Le Seigneur notre Dieu est l’Unique Seigneur ; et tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force !’ » Voici le second : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. »

    (Marc 12, 29-31) 


    La citation, extraite de la Bible, est volontairement tronquée et réduite à une formule : (…) ton prochain comme toi-même. Elle met non seulement en jeu des thèmes majeurs de la philosophie, à savoir l'impossible (ré)conciliation entre Moi et Autrui, mais elle les place aussi et surtout sur les deux plateaux d'une balance : (…) toi-même comme ton prochain est un jeu d'équilibre et elle implique une difficile mais juste pondération entre deux moi, aussi étrangers l'un à l'autre qu'à eux-mêmes.

    L'ellipse du verbe fait de cette phrase du Christ un précepte plus que jamais universalisable, tel un nouvel impératif catégorique, et l'aposiopèse nous sert ici d'artifice pour initier le questionnement philosophique : (connais) ton prochain comme toi-même, (juge) ton prochain comme toi-même et enfin (respecte) ton prochain comme toi-même. On comprend tout de suite que notre discussion ne peut pas se limiter à une analyse simplement théologique de cette formule, car ainsi formulé, (…) ton prochain comme toi-même renvoie à des interrogations éthiques et morales mais aussi de l'ordre du droit et de la justice.


    (Aime) ton prochain comme toi-même, « et qui est mon prochain ? », demande Luc à Jésus (Luc 10, 26-37). Et qui est ce « moi-même » que je suis déjà sensé aimer ? Il s'agit d'une « équation à deux inconnues », nous dit Yann : comment puis-je aimer mon prochain, moi qui ignore qui je suis ? On se rappelle alors les mots gravés sur le frontispice du temple de Delphes et la phrase de Socrate, ce principe premier de la philosophie grecque, qui ordonnaient avant toute chose de se connaître soi-même : être humble devant les dieux comme devant ses pairs, prendre conscience de soi et de sa condition d'homme dans l'univers pour rechercher la sagesse (sophia, en grec), c'est-à-dire non pas la simple vertu mais le savoir, la connaissance. Aimer son prochain, cela implique donc de le connaître comme soi-même. C'est le second commandement divin et notre premier devoir envers autrui : « Celui qui n'imagine rien ne sent que lui-même, il est seul au milieu du genre humain », écrivait J.-J. Rousseau dans son Essai sur l'origine des langues (1781), mais cette connaissance d'autrui est-elle seulement possible ?


    (Juge) ton prochain comme toi-même, puisque tu cherches à connaitre ton prochain comme toi-même : le travail sur soi, la connaissance du monde et la quête de la sagesse sont des chemins longs et difficiles, semés d'embuches et d'épreuves, d'erreurs ou de renoncements. Le prochain n'est pas un autre parmi « les autres », c'est un alter ego auquel je peux m'identifier, avec qui je partage des valeurs et un univers de sens; c'est un autre moi dont je peux comprendre les passions, les mobiles et les actes, et de ce fait, dont je peux expliquer et pardonner les fautes. Toutefois, ce prochain, pour autant qu'il me ressemble, reste toujours un étranger (du latin extraneus, « exterieur à »), à la fois proche et distant, ressemblant et inaccessible, sympathique (« qui souffre avec », et partant « qui a des affinités avec ») et hostile (hostilis, en latin, peut aussi prendre le sens d'« étranger »).


    (Respecte) ton prochain comme toi-même, puisque - en dépit de ses différences et de la distance qui nous séparent les uns des autres - il est un être humain comme toi, et c'est l'humanité en lui que nous aimons, que nous cherchons à connaitre et à comprendre, que nous jugeons ou condamnons, mais que toujours nous respectons. Respecter son prochain, c'est renoncer à voir en lui une limite négative à nos intérêts personnels et nos droits naturels ; c'est, paradoxalement, reconnaître sa singularité en tant qu'individu et notre communauté en tant qu'être humain : « L'autre, c'est le prochain », écrit E. Lévinas, dans De l'existence à l'existant (1947), mais cette proximité n'est pas une fusion, car l'autre reste à jamais « ce que moi je ne suis pas » et notre relation est, en ce sens, contrainte à être asymétrique.

     


    ton prochain comme toi-même, ou se considérer soi-même comme un autre, c'est poser une équation à deux inconnues et, comme en mathématiques, c'est faire en sorte que la valeur de ces deux inconnues garantissent l'égalité effective des deux membres de l'équation – bref, c'est chercher à trouver une solution. 

    Toulouse, avril 2011.


     

    PLAYLIST

    Susheela Raman : Meanwhile 

    Alpha : Song of silence 

    Four Tet : Weight of my words 

    Cascadeur : Walker 

    Clarika : Bien mérité 

    Joanna Newsom : Occident 

    Michael Jackson : Earth song

    Abed Aziré : L'évangile selon Jean

     

     REFERENCES

    Homèlie du dimanche 20 février 2011 : La sainteté n'est pas accordée à la loi, mais à l'amour, http://www.unfeusurlaterre.org/qehelata/

    L'évangile du dimanche 26 octobre 2008, http://www.youtube.com/watch?v=BbJVOGxYPxs

    Philippe Cormier : Aimer son prochain comme soi-même, extrait d'une conférence donnée lors des Rencontres de Sophie à Nantes, dans le cadre de l'abécédaire, en mars 2011 et publiée aux Éditions M-Éditer, http://www.youtube.com/watch?v=AcNsGWb5HWk

    Stéphane Einhorn : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, www.terrafemina.com

    Martin Niemöller : First they came, http://www.youtube.com/watch?v=raLQZqF_Jmo

    Extraits du du film Jesus de Nazareth de Franco Zeffirelli (1977).


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    Réalité(s)


      

    Réalité(s). Avec un S entre paranthèses, "ce qui n'est pas très radiophonique", me faisait remarquer  un ami. Pourtant, ce S, cette simple lettre, dès que l'on parle de réalité, fait bouillonner toute la philosophie : "La réalité est à la fois multiple et une, et dans sa division elle est toujours rassemblée", disait Platon. Mais comment ce qui est effectivement pourrait être autrement, ou pis, "pluralement" ?

     


    « Qu'est-ce donc que la vie? Un délire.
    Qu'est-ce donc que la vie? Une illusion,
    Une ombre, une fiction;
    Le plus grand bien est peu de chose,
    Car toute la vie n'est qu'un songe,
    Et les songes rien que des songes ».

    (Calderón de la Barca, La vie est un songe, acte II, scène 2, monologue de Sigismond)


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    Qu'est-ce que la réalité ? L'idée même de réalité engage toute la philosophie (qui essaie de la saisir pour la penser) mais aussi la science (qui prétend la prendre pour objet) et l'Art (qui l'imite, la renie ou la recrée).

    La réalité, c'est ce qui existe effectivement, c'est ce que nous percevons du monde autour de nous. Ainsi définie, la réalité est réduite à une perception sensorielle, et nous savons, depuis Platon, que nous devons nous méfier de nos sens, qui peuvent être parfois trompeurs (Platon, "L'allégorie de la caverne", dans le le Livre VII de la République). En ce sens, la réalité serait un produit humain et une construction subjective de notre esprit : il n'existerait alors pas une réalité mais une pluralité de réalités correspondant à une pluralité de consciences du monde. 


    Cela ne va donc pas sans poser de problèmes : si nos sens nous trompent, le monde extérieur existe-t-il peut être autrement ? A-t-on vraiment accès à la réalité telle qu'elle existe en soi ? N'y a-t-il pas quelque chose qui existe indépendamment de l'homme, une réalité ultime ? N'est-ce pas, d'ailleurs, ce principe de réalité intangible que nous appelons Dieu ?

    Sans cela, sans cet impératif de continuité et de permanence, comment élaborer des théories scientifiques ou philosophiques, si la réalité n'est qu'une construction humaine, toute tentative de connaissance devient relative à l'homme: nous ne pouvons donc jamais accéder à la vérité, et tout est par conséquent vide de sens et nous n'avons affaire qu'au néant ?


    C'est pourquoi la science doit se confronter activement à la réalité : de ce fait, il faut faire de chacun d'entre nous, un sujet connaissant qui donne ses propres règles à l'objet pour le connaître; il nous faut donc renoncer à la réalité nouménale des choses, c'est-à-dire à leur réalité en soi, car cette connaissance nous est à jamais interdite, et priviliéger l'étude de la réalité telle qu'elle nous apparaît (Kant, La Critique de la Raison Pure, deuxième partie, "Analytique transcendantale", livre II, chapitre III).

    Le scientifique laisse donc à l'art et à l'artiste le soin d'interpréter la réalité, de la construire ou de la déconstruire et d'en donner sa vision personnelle. Et pourtant, les théories scientifiques, comme les conceptions philosophiques, se refutent les unes les autres, au fil des siécles, et apparaissent alors comme des visions du monde, ancrées dans une époque, dans une société ou dans une civilisation données.


    Toutefois, la réalité est bien une perception partagée. Certes, c'est une projection mentale mais elle est intersubjective, car notre condition humaine nous porte à donner un sens aux choses que nous voyons et les limites de nos capacités sensorielles cadrent toujours nos perceptions : nous partageons ainsi tous, être humains « normaux », la même conception de la réalité (sauf le fou qui, dit-on, « perd le sens de la réalité »), puisque nous co-construirons ensemble, dans un aller-retour incessant entre notre esprit et le monde extérieur, la réalité.

    La réalité, comme la vérité, ne semble donc jamais acquise, toujours liée à nos limites biologiques et sensorielles, bref à notre condition humaine ; elle est comme du sable entre les doigts, quelque chose de mouvant et de toujours fuyant : la réalité est paradoxalement ce que nous construisons et ce qui sans cesse nous résiste. 

    Châteauroux, mars 2011.


    PLAYLIST

    REFERENCES

    Four Tet : Glue of the world 
    Telephone VS Supergrass : Un autre monde à st-Peterbourg 
    Bonobo : Black sands 
    Jim Noir : How to be so real 
    Susana Baca : Merci bon dieu 
    Louise Le May : Photographic

    Platon : "L'allégorie de la caverne" (dans le le Livre VII de la République)

    Kant : La Critique de la Raison Pure (deuxième partie, "Analytique transcendantale", livre II, chapitre III)


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