• Réalité(s).


     


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    Réalité(s)


      

    Réalité(s). Avec un S entre paranthèses, "ce qui n'est pas très radiophonique", me faisait remarquer  un ami. Pourtant, ce S, cette simple lettre, dès que l'on parle de réalité, fait bouillonner toute la philosophie : "La réalité est à la fois multiple et une, et dans sa division elle est toujours rassemblée", disait Platon. Mais comment ce qui est effectivement pourrait être autrement, ou pis, "pluralement" ?

     


    « Qu'est-ce donc que la vie? Un délire.
    Qu'est-ce donc que la vie? Une illusion,
    Une ombre, une fiction;
    Le plus grand bien est peu de chose,
    Car toute la vie n'est qu'un songe,
    Et les songes rien que des songes ».

    (Calderón de la Barca, La vie est un songe, acte II, scène 2, monologue de Sigismond)


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    Qu'est-ce que la réalité ? L'idée même de réalité engage toute la philosophie (qui essaie de la saisir pour la penser) mais aussi la science (qui prétend la prendre pour objet) et l'Art (qui l'imite, la renie ou la recrée).

    La réalité, c'est ce qui existe effectivement, c'est ce que nous percevons du monde autour de nous. Ainsi définie, la réalité est réduite à une perception sensorielle, et nous savons, depuis Platon, que nous devons nous méfier de nos sens, qui peuvent être parfois trompeurs (Platon, "L'allégorie de la caverne", dans le le Livre VII de la République). En ce sens, la réalité serait un produit humain et une construction subjective de notre esprit : il n'existerait alors pas une réalité mais une pluralité de réalités correspondant à une pluralité de consciences du monde. 


    Cela ne va donc pas sans poser de problèmes : si nos sens nous trompent, le monde extérieur existe-t-il peut être autrement ? A-t-on vraiment accès à la réalité telle qu'elle existe en soi ? N'y a-t-il pas quelque chose qui existe indépendamment de l'homme, une réalité ultime ? N'est-ce pas, d'ailleurs, ce principe de réalité intangible que nous appelons Dieu ?

    Sans cela, sans cet impératif de continuité et de permanence, comment élaborer des théories scientifiques ou philosophiques, si la réalité n'est qu'une construction humaine, toute tentative de connaissance devient relative à l'homme: nous ne pouvons donc jamais accéder à la vérité, et tout est par conséquent vide de sens et nous n'avons affaire qu'au néant ?


    C'est pourquoi la science doit se confronter activement à la réalité : de ce fait, il faut faire de chacun d'entre nous, un sujet connaissant qui donne ses propres règles à l'objet pour le connaître; il nous faut donc renoncer à la réalité nouménale des choses, c'est-à-dire à leur réalité en soi, car cette connaissance nous est à jamais interdite, et priviliéger l'étude de la réalité telle qu'elle nous apparaît (Kant, La Critique de la Raison Pure, deuxième partie, "Analytique transcendantale", livre II, chapitre III).

    Le scientifique laisse donc à l'art et à l'artiste le soin d'interpréter la réalité, de la construire ou de la déconstruire et d'en donner sa vision personnelle. Et pourtant, les théories scientifiques, comme les conceptions philosophiques, se refutent les unes les autres, au fil des siécles, et apparaissent alors comme des visions du monde, ancrées dans une époque, dans une société ou dans une civilisation données.


    Toutefois, la réalité est bien une perception partagée. Certes, c'est une projection mentale mais elle est intersubjective, car notre condition humaine nous porte à donner un sens aux choses que nous voyons et les limites de nos capacités sensorielles cadrent toujours nos perceptions : nous partageons ainsi tous, être humains « normaux », la même conception de la réalité (sauf le fou qui, dit-on, « perd le sens de la réalité »), puisque nous co-construirons ensemble, dans un aller-retour incessant entre notre esprit et le monde extérieur, la réalité.

    La réalité, comme la vérité, ne semble donc jamais acquise, toujours liée à nos limites biologiques et sensorielles, bref à notre condition humaine ; elle est comme du sable entre les doigts, quelque chose de mouvant et de toujours fuyant : la réalité est paradoxalement ce que nous construisons et ce qui sans cesse nous résiste. 

    Châteauroux, mars 2011.


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    REFERENCES

    Four Tet : Glue of the world 
    Telephone VS Supergrass : Un autre monde à st-Peterbourg 
    Bonobo : Black sands 
    Jim Noir : How to be so real 
    Susana Baca : Merci bon dieu 
    Louise Le May : Photographic

    Platon : "L'allégorie de la caverne" (dans le le Livre VII de la République)

    Kant : La Critique de la Raison Pure (deuxième partie, "Analytique transcendantale", livre II, chapitre III)


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